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Le Chevalier de la Barre, dernier exécuté pour blasphème

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Connu pour porter le nom d’une jolie rue Montmartroise, le Chevalier de la Barre, dont une statue trône dans un petit parc pas loin du Sacré-Coeur, cache une histoire quelque peu oubliée aujourd’hui. Symbole d’un 18e siècle riche d’idées neuves et de rêves d’émancipation, il en paya le prix fort en subissant une exécution aussi violente que démesurée. Dernier exécuté pour blasphème de l’histoire de France, il contribua au rejet de l’Église par la population, mouvement qui s’achèvera par la Révolution. Quelle histoire que celle du Chevalier de la Barre !

Religion contre Lumières

Né en Seine-et-Marne, François-Jean Lefebvre de La Barre est issu d’une famille noble en déclin. Laissé sans héritage à la mort de son père, qui avait dilapidé la fortune familiale, il rejoint avec son frère l’une de ses tantes, Abbesse à Abbeville, en Picardie. S’y déroule une adolescence plutôt classique à l’époque pour un fils de bonne famille, quoi que le jeune homme se révèle plutôt turbulent et irrévérencieux.

En août 1765, un crucifix sur le pont d’Abbeville est profané. Ce qui devait être un fait divers plutôt banal va devenir une véritable affaire d’État.

La communauté religieuse locale recherche les coupables, invitant la population à la dénonciation lors des messes sous peine de vengeances divines. La petite bourgeoisie d’Abbeville, effrayée par les prêches apocalyptiques, commence à pointer du doigt un groupe de jeunes gens, bien trop oisifs à leur goût, comme responsable. Quelques amis du jeune Chevalier arrivent à fuir. Lui et l’un de ses compagnons, Moisnel, âgé de 15 ans, seront arrêtés.

L’exécution du Chevalier de la Barre

D’abord accusés d’avoir profané le crucifix, il leur est aussi reproché d’avoir chanté des chansons impies et de ne pas avoir ôté leur chapeau au passage d’une procession. L’appartement de la Barre est fouillé, et les juges y trouvent un exemplaire du Dictionnaire philosophique portatif, manifeste de poche publié anonymement par Voltaire.

Publié en 1764, ce dictionnaire, facilement transportable, recensait des sujets divers et variés, de la Nature au Destin, avec un ton d’une grande liberté. La religion, et plus particulièrement le christianisme, y avait évidemment une place de choix, abordés dans des sujets tels que Tyrannie, Torture, Liberté de penser ou Tolérance. Condamné par les autorités, le livre connut néanmoins un très large succès, aussi bien grâce à la nouveauté de ses idées qu’à son petit format. Avec le Chevalier de la Barre, c’est l’ouvrage de Voltaire que l’Église souhaitait supprimer. 

Jugé une première fois à Abbeville, il est condamné pour “impiété, blasphèmes, sacrilèges exécrables et abominables“. Les juges ordonnent qu’on lui coupe la main pour ne pas avoir salué la procession, qu’on lui tranche la langue pour avoir chanté les chansons impies, qu’on le décapite et qu’on le brûle. Plus chanceux, son ami Moisnel bénéficia de la clémence des juges en raison de son âge.

Le Chevalier de la Barre fait appel, et un nouveau procès se tient au Parlement de Paris. Quinze juges sur vingt-cinq se prononcent en faveur du premier jugement, et Louis XV refusa d’user de son droit de grâce.

La peine définitive est la suivante : À travers la ville d’Abbeville, le Chevalier de la Barre devra faire “amende honorable” devant l’église, soit reconnaitre ses fautes en public, à genoux, nue tête et nus pieds, ayant la corde au cou, écriteaux devant et derrière portant ces mots : “impie, blasphémateur et sacrilège exécrable et abominable“, puis demander pardon à tous . Il aura ensuite la langue coupée, avant d’être transporté sur la place publique de la ville (différente de celle de l’église, donc), pour être soumis à la question ordinaire (ce qui signifie être torturé) et la question extraordinaire (ce qui signifie être torturé encore plus violemment…). Après quoi il aura la tête tranchée, le corps et la tête jetés dans les flammes et les cendres dispersées au vent. L’arrêt de la cour de Parlement précisait que le dictionnaire philosophique portatif de Voltaire devait être jeté dans les flammes avec le corps du condamné…

Voltaire rendra cette affaire publique, laquelle marquera l’opinion. “Quelques juges ont dit que, dans les circonstances présentes, la religion avait besoin de ce funeste exemple. Ils se sont bien trompés ; rien ne lui a fait plus de tort. On ne subjugue pas ainsi les esprits ; on les indigne et on les révolte.” Écrivit le philosophe… La Révolution lui donnera raison !

Réhabilité pendant la Révolution française, le Chevalier de la Barre deviendra un symbole du fanatisme religieux. En 1905, une statue fut érigée à Paris, devant le Sacré-Coeur de Montmartre, comme un emblème de résistance et de la laïcité devant ce monument à l’histoire contestée.

Fondue par les Allemands, la statue actuelle date de 2001 (seul le piédestal est d’origine), et a été reléguée loin de la Basilique, dans un petit square à l’abri du regard des visiteurs…

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